Si tu es vif, le lent t’échappe.
Dans une improvisation gestuelle et matiériste, le plaisir du mouvement de la main, voire du bras, voire du corps tout entier, ce plaisir de l’action de peindre qui s’amplifie en jouant de l’effusion de la matière, sont essentiels. Au risque parfois de se faire déborder : un superbe premier jet, avec juste une petite imperfection, et voilà que l’on s’embarque dans une reprise qui appesantit tout. Autre danger : partir à l’aventure sans avoir vraiment prévu la bonne dimension de son pinceau, ni la bonne qualité de poil, ni son itinéraire, ni la quantité ou la consistance de peinture adéquats... Etc, etc… Pour garder toute l’énergie impulsée à votre geste pictural, vous devez penser à tout cela. Au début, c’est encombrant, mais à force de pratique, cela devient votre seconde nature.
Pratiquement, pour vous entraîner et progresser dans ce type de peinture gestuelle et matiériste, il vous faut avant tout de la méthode en amont de l’action.
FORMAT
Adoptez un type de format et gardez-le pour bien l’avoir en main. Ne craignez pas d’entreprendre par exemple une série de vingt peintures de la même dimension et de la même orientation, horizontale ou verticale.
MOTIF
Ne vous lancez pas dans une gestuelle libre sans aucun support particulier – à moins d’avoir déjà beaucoup de pratique - car vous courrez le risque de produire des mouvements stéréotypés et mal cadrés. Disposez d’éléments de composition pour soutenir votre gestuelle. Par exemple, photos aux sujets simples, contrastés, structurés. Ou petits croquis d’observation minimalistes tracés au pinceau fin dans un format timbre-poste, à faire basculer, au moyen d’un spalter, dans un format résolument mural. Dans certains cas, un effet de matière bien calculé peut aussi vous servir de motif de construction.
Ci-dessous, c'est simplement le prénom d'Evelyne qui sert de support à sa gestuelle à la brosse, où les coulures jouent aussi leur rôle dans l'effet graphique obtenu.
OUTILS
Choisissez des outils proportionnés au format que vous avez défini. Voyez large : un spalter de 60 mm pour un format de papier à lettre, un balai trempé dans une bassine de peinture pour un format d’un mètre occuperont vigoureusement les surfaces travaillées. De même, au lieu d’un simple couteau à peindre, un réglet souple de 60 cm pour racler d’un seul coup, avec des effets ondulants, une surface de cette largeur.
Ci-dessous, peinture exécutée d'un simple coup de serpillère, souligné d'une forme rectangulaire pour lui donner une assise dans la composition.
Ci-dessous, peinture produite par le raclage de noisettes de couleur en haut de la feuille. Raclage d'un seul geste, sans revenir en arrière. Composition complétée par un aplat de couleur neutre, unie et opaque pour faire contraste avec les couleurs vives, modulées et transparentes.
MATIÈRE
Évaluez bien la quantité et la qualité –consistance, ductilité, pouvoir couvrant… de la matière employée, sa relation avec le support –accrocheuse, glissante…-.
INTENDANCE
Prévoyez à l’avance les outils et matériaux dont vous aurez besoin, pour ne pas être en panne à un moment crucial de l’action.
POSITION
Sachez bien vous placer par rapport à votre support : sur une table, sur un mur, par terre ; ne vous trompez pas d’installation. Action du poignet, du bras, du corps entier : organisez-vous pour être libre de vos mouvements.
4 RÈGLES
Une fois bien préparées ces différentes données - format, motifs, outils, matière, intendance, position - observez les 4 règles suivantes :
- travaillez au moins 4 peintures simultanément : mêmes dimensions, même orientation, mêmes couleurs ;
- prenez le temps de réfléchir à chaque geste pictural avant de l’exécuter ;
- exécutez-le le plus brièvement possible ;
- interdisez-vous d’y revenir aussitôt après l’avoir tracé.
L’essentiel, dans ce type de peinture, porte sur le caractère unique de chacun de vos gestes, sans abandon complaisant à l’expressionnisme de la matière. Chaque geste doit véhiculer forme, matière et couleur d’un seul élan, réfléchi et préparé.
Ci-dessous, technique du splash.