Dimanche 10 avril 2011 - Jour 1
Peinture avec rendez-vous quotidien 1/6
Intention : le format d’une peinture doit se comprendre autant dans le domaine de la surface, que dans celui du temps. Une peinture peut être d’un seul tenant, ou en plusieurs panneaux. Mais aussi exécutée dans un mouvement continu, ou voir sa réalisation répartie dans le temps, non pour des raisons pratiques, mais pour des raisons artistiques. La peinture que je vous propose de commencer ce matin sera conçue par une suite de gestes brefs et uniques, à raison d’un seul geste chaque matin. La proposition de chaque jour sera imaginée au fur et à mesure, selon le tour pris par les peintures de chacun, globalement et séparément. Jeu de construction où les peintures vont naître de la rencontre entre vos idées et les miennes, dans un lieu et un temps donné.
L’un des buts de ce mode de travail est de dominer la tendance à vouloir corriger avant même d’avoir suffisamment regardé une peinture.
Action : Vous allez peindre sur une feuille que j’ai apportée, qui comporte une composition blanche sur fond blanc. Les traces de cette composition seront enfouies sous votre peinture, mais y laisseront des nuances indéfinissables.
1/6 : vous préparez une couleur liquide, dans la teinte de votre choix, et vous la versez sur la feuille, sans utiliser de pinceau ni d’outil intermédiaire entre la couleur et la feuille. Vous versez cette couleur avec un geste de semeur.
Si tu es vif, le lent t’échappe.
La peinture d’où je viens
Avant de vous proposer une composition à réaliser, je vais vous demander d’imaginer une suite à la dernière peinture que vous avez faite, et aimé faire. Une suite, ou une évolution, ou un contre-pied. Cette peinture sera entreprise d’après le souvenir, ou l’observation, de l’œuvre retenue comme point de départ.
Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens.
Kuo Ssu relate la manière de peindre de son père Kuo Hsi : « il avait l’habitude, lorsqu’il allait peindre, de s’asseoir près d’une fenêtre claire. Il mettait en ordre la table, brûlait de l’encens et disposait soigneusement l’encre et les pinceaux devant lui. Ensuite, il se lavait les mains, comme pour recevoir un hôte distingué. Il restait silencieux longuement, afin de calmer son esprit et de rassembler ses pensées. C’est seulement lorsqu’il possédait la vision exacte qu’il commençait à peindre. Il disait souvent sa hantise de se trouver devant sa propre œuvre avec un regard distrait.
Lundi 11 avril 2011 - Jour 2
Qu’y a-t-il autour de ma peinture ?
Préparez un fond texturé dans une des techniques suivantes : empreinte de gesso, papier collé-arraché, transfert, mortier. Sur un format égal à la peinture d’hier (par exemple 50 x 65 cm) vous délimitez un emplacement qui en constitue la réduction au format carte postale (10 x 13 cm). Dans cet emplacement, vous reproduisez en résumé la composition d’hier, puis vous prolongez cette miniaturisation à l’extérieur de son cadre, en cherchant ce qu’il peut y avoir au-delà.
Toute limite est un appui.
Mardi 12 avril 2011 - Jour 3
Peinture avec rendez-vous quotidien 3/6
3/6 : Vous extrayez de la peinture d’hier ou d’avant-hier une forme reconnaissable, identifiable, repérable. Cette forme, vous la dessinez pour qu’elle ait la netteté d’une silhouette. Puis vous la reportez sur cette peinture à base de coulures et projections pour opposer sa présence opaque et clairement définie à l’énergie erratique des giclées de couleur.
Migrations picturales
Préparation d’un fond de papier collé-arraché, transfert, mortier ou empreindre de gesso.
Vous transposez en dessin la "Peinture avec rendez-vous quotidien 3/6", puis vous la mettez en couleur sur ce fond, dans l’ambiance du sujet d’hier.
Les compositions d’avant-hier, hier et aujourd’hui se trouvent des points de contacts. Formes, couleurs, énergies migrent des unes aux autres pour s’enrichir mutuellement et trouver l’unité dans leur diversité.
La forme des variations est la forme où la concentration est portée au maximum […] Le voyage des variations conduit au-dedans de cet autre infini, au-dedans de l’infinie diversité du monde intérieur qui se dissimule en toute chose.
Mercredi 13 avril 2011 - Jour 4
Peinture avec rendez-vous quotidien 4/6
4/6 : Vous définissez un périmètre net et simple dans votre composition, d’environ un tiers de son format, et vous le traitez avec un soin particulier dans le rendu des surfaces et des contours, comme s’il s’agissait d’une mise au point au sens photographique, ou d’une restauration. Ou : vous choisissez certaines formes et surfaces (celles qui se croisent) et vous affinez la couleur et la définition graphique des traces de peinture brutes, pour donner une impression d’imbrication plus que de simples superpositions.
Peinture condensée
Vous rassemblez les trois, ou les quatre peintures précédentes, pour renforcer leurs liens visuels : composition, couleurs, textures, graphismes. Et / ou, sur une feuille blanche, vous faites un condensé de ces peintures.
Celui qui ôte est un artiste. Celui qui ajoute est un enjoliveur.
Picasso, quand on l’interrogeait sur sa méthode, disait : « la matière de mon travail, c’est le travail ».
Jeudi 14 avril 2011 - Jour 5
Peinture avec rendez-vous quotidien 5/6
5/6 : Dans un petit coin discret de votre peinture, vous peignez un détail de quelques centimètres carrés, légèrement différent de ce qui l’entoure : un trésor caché. Ce détail précieux ne sera visible que pour le spectateur qui prendra le temps de regarder attentivement votre peinture.
Ne plus voir, re-voir
Sur un fond préparé avec la matière de votre choix, vous reprenez « à l’aveugle » l’une de vos compositions précédentes. Rappel de la technique du « dessin à l’aveugle » : vous regardez attentivement la composition prise pour modèle, mais vous ne regardez pas ce que fait votre main sur le papier. Pour y parvenir sans jeter un coup d’œil réflexe sur ce que vous tracez, dessinez sous le couvert d’une feuille qui masque entièrement le travail en cours. Pour que le résultat dépasse le simple gribouillis informel, deux conditions impératives doivent être réunies : attachez-vous au plus grand nombre de détails dans votre sujet, tout en contrôlant méticuleusement au toucher la position de votre main sur la feuille. Ne démasquez votre travail que lorsqu’il est tout à fait terminé. Après ce premier dessin au crayon, vous le repassez en noir à l’acrylique. Puis vous recommencez un 2e dessin à l’aveugle par-dessus le premier, que vous laissez au crayon. Vous posez ensuite la couleur en jouant des décalages entre les deux tracés acrylique et crayon.
Les quatre étapes du voir : voir ; ne plus voir ; s’abîmer à l’intérieur du non-voir ; re-voir. (…) Tu t’accroches encore trop aux choses. Tu te cramponnes à elles. Or les choses vivantes ne sont jamais fixes, isolées. Elles sont prises dans l’universelle transformation organique. Le temps de peindre, elles continuent à vivre, tout comme toi-même tu continues à vivre. En peignant, entre dans ton temps et entre dans leur temps, jusqu’à ce que ton temps et leur temps se confondent. Sois patient et travaille avec toute la lenteur voulue. »
Vendredi 15 avril 2011 - Jour 6
Peinture avec rendez-vous quotidien 6/6
6/6 : Gardez une zone circulaire dans votre composition, à l’état brut. Faites-la ressortir en augmentant la précision, la netteté, la définition des formes et des couleurs dans les autres parties.
Peintures avec généalogie
Les 6 peintures réalisées les jours précédents se sont succédées en lien les unes avec les autres. Consacrez cette dernière journée à balader votre pinceau de l’une à l’autre pour renforcer ou affiner ces liens. L’art de la composition en peinture ne se pense pas qu’à l’intérieur de chaque tableau, mais dans les relations qui s’établissent entre eux. Relations où la question de l’écoulement du temps compte. Qu’il s’agisse d’une semaine comme ici, d’une année, ou de toute une vie. Quand vous peignez, pensez à la généalogie de vos peintures, à leur filiation, intéressez-vous à celle d’hier comme à celles d’avant-hier etc. Ne les abandonnez-pas. Regardez-les, pensez à elles pour concevoir plus intensément celle d’aujourd’hui. L’intensité de chaque peinture se nourrit de la conscience de toutes celles qui l’ont précédée.
Au-delà des bords du tableau, sans doute, le tumulte et l’ennui de la vie, cette incessante et vaine course harassée de projets. Mais au-dedans, la plénitude d’un moment suspendu arraché au temps de la convoitise humaine.
Peintures avec rendez-vous quotidien. Album :
"Peinture avec rendez-vous quotidien 6/6". Compositions de : Mireille Vincent, Annie Iriarte, Brigitte Balon, Christophe Assémat, Joëlle Chevallier, Martine Rival, Magda Rebutato.
Autres peintures du stage :
(cliquez pour agrandir)
Peintures du 10 juillet : Jeanine Mandille, Jöelle Chevallier, Magda Rebutato (cliquez pour agrandir)
Peintures de Françoise Costa, Christophe Assémat, Joëlle Chevallier, Magda Rebutato, Marie-Odile Cadé, Mireille Canal.
Peintures de : Mireille Vincent, Magda Rebutato (I et II), Brigitte Balon, Christophe Assémat, Mireille Canal (cliquez pour agrandir)
Peintures de : Annie Iriarte, Christophe Assémat, Colette roullin, Françoise Costa, Jeanine Mandille (I, II et III), Martine Rival, Mireille Vincent (I et II) - Cliquez pour agrandir.