Peindre des pierres, c’est une manière de peindre sur le motif, de peindre du réel, et de rester abstrait. Ou plus précisément : de rester libre par rapport à une idée arrêtée, limitée du réel. En effet, une pierre peut avoir n’importe quelle forme, une grande variété de texture, n’avoir aucun point commun de couleur, de contour, avec une autre pierre, et pourtant l’une et l’autre pourront s’appeler « pierre ».
À partir de ces remarques, vous allez apporter votre pierre à l’histoire de l’art : délimitez une surface sur un support, enduisez de mortier, de sable, de couleur. Délavez, frottez, enlevez de la couleur, remettez-en. Etc… Expérimentez tous les procédés picturaux qui vous viennent sous la main. Peignez, grattez, frottez, poncez, mais toujours à l’intérieur de cette surface qui fait bien la part entre ce qui est pierre, et ce qui ne l’est pas.
Et prenez votre temps. Aucune pierre ne s’est faite en un jour.
On peut peindre n’importe quoi, même une pomme, même une pierre, c’est toujours de soi qu’on parle.
Offrir des fleurs aux femmes est une hérésie. Les fleurs sont des sexes obscènes, elles symbolisent l’éphémère et l’infidélité, elles s’écartèlent sur les bords des chemins, s’offrent à tous les vents, à la trompe des insectes, aux nuages de graines, aux dents des bêtes ; on les foule, on les cueille, on y plonge le nez. À la femme qu’on aime, il faudrait offrir des pierres, des fossiles, du gneiss, enfin une de ces choses qui durent éternellement et survivent à la flétrissure.
Locke, au XVIIe siècle, postula (et réprouva) une langue impossible dans laquelle chaque chose individuelle, chaque pierre, chaque oiseau et chaque branche eût un nom.
Il ne faut pas peindre une pierre, mais le petit dieu qui se cache sous chaque pierre.