Il y a beaucoup à lire dans les peintures de Daniel Diot, et beaucoup à voir dans ses écrits.
Daniel Diot est un être humain de sexe masculin, né au XXe siècle quelque part sur Terre, et très peu représentatif des êtres humains de ce genre, de cette époque et de cette région, car pourvu de qualités peu observées aujourd’hui : il entretient une relation complice avec le temps, il fait preuve d’exigence sans chercher à tout contrôler, il accueille le réel avec chacun de ses sens, en complicité avec son intelligence. Réel et imaginaire vivent en bonne entente en lui, et s’enrichissent l’un l’autre. J’arrête là le dénigrement, car en plus de cela, Daniel Diot préfère la discrétion. Les milliards de personnes qui ne liront pas cette page nous remercieront. Et bienvenue aux autres.
Lettre au regardant.
Regarder un tableau n’est pas chose si simple. On y pose le regard, soit. Mais aussitôt, un flux d’observations, d’idées, de questions se met en mouvement, anime un va et vient entre l’image et tout ce qu’est celui qui regarde.
Mes tableaux n’échappent pas à ce feu des questions. Je le comprends. Que dire ?
Il paraît que lorsqu’on ne sait pas quoi dire, le mieux est de dire la vérité. La voici.
Mes tableaux sont peints avec des nuages. C’est un matériau assez difficile car il échappe facilement. Ce que je croyais voir n’y est déjà plus. Les nuages échappent aux lois de la plastique, ils filent entre mes doigts, sont opaques mais transparents quand même, ils sont humides et puis s’assèchent pour regonfler à nouveau. Je ne fais pas ce que je veux avec cette matière, c’est plutôt à moi de m’adapter, d’organiser des rencontres, qui se produisent ou pas, d’imaginer un passage puis un autre, d’essayer jusqu’à ce que mes compères veuillent bien « faire signes ».
Mes tableaux n’ont pas pour mission d’entrer dans l’histoire de l’art, tout au plus prennent-ils place dans la mienne et c’est déjà pas mal. Ils n’ont pas pour mission d’être originaux ni d’exprimer quoi que ce soit. Je crains qu’ils n’aient aucune mission. Ce ne sont pas d’abord des images, ce sont des actes. Ces actes-là me sont nécessaires, mais ce qu’ils disent au juste, je ne leur demande jamais. Ils sont finalement encore assez fragiles, offerts dans un équilibre de l’instant.
Cela ressort d’une sensibilité du filigrane. C’est là sans y être, c’est une proposition qui s’approche et se retire, une offre qui en suggère une autre. Une image visible qui s’efface pour laisser place aux à nos projections secrètes, une avance faite, une invitation à un cheminement libre et changeant. Chacun fixera finalement une sensation, une autre image qui lui appartiendra à lui seul, il pourra la garder dans le secret de ses souvenirs propices.
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Impression... Danse du feu
Impression (définitions du Littré)
Effet que l’action d’une chose produit sur un corps. Action qu’exerce un mouvement.
Effet plus ou moins prononcé que les objets extérieurs font sur les organes des sens.
Effet qu’une cause quelconque produit dans le cœur ou dans l’esprit.
Mes peintures, des « onigrammes » ?
Mes tableaux racontent tous la même histoire. Ils disent que dans ma mémoire se trouvent des images précises. Ou confuses, ou un peu les deux. Ces souvenirs proviennent de lieux et de moments divers, agréables ou non, heureux ou malheureux, souvenirs de bonheurs ou de peurs, d’évènements advenus ou échappés, vécus ou imaginés. Ces souvenirs sont visuels ou non, ils peuvent être constitués d’images, de sons, d’odeurs, de parfums, d’atmosphères. Tous ces éléments ne sont pas seulement des souvenirs bien rangés dans ma mémoire, ils sont aussi des sensations qui m’habitent et qui, en quelque sorte, font partie de moi, contribuent à qui je suis.
Sur mes tableaux je pose des fragments visuels de ces souvenirs et sensations. On remarque des éléments identifiables, souvent sous forme de collages.
Et puis tous ces éléments s’éloignent, prennent leur envol au travers du temps et se redéposent sur le support comme en moi sous forme de strates, de couches, de superpositions. Au cours de ce processus se forme en moi une sorte de récit (encore que ce mot ne soit pas le meilleur), un récit qui me parvient et qui m’échappe en même temps (comme cela arrive souvent avec les rêves). Comme si ce récit se disait en un langage qui existe à l’intérieur de moi mais dont je ne connais pas tous les signes. Les signes me semblent alors « mystérieux » pourtant ils sont bien là sous mes yeux, ils viennent bien de moi mais ils m’échappent. Au total se forme une image. Une image dense, mouvante, même de la plus infime façon s’il le faut, prête à s’échapper pour se reconstituer autrement l’instant d’après.
Le vent, les nuages, les sentiers, le sable, la terre meuble, les cailloux, l’eau sous toutes ses formes (flaques, pluie, petits ruisseaux, étangs, fleuves et rivières), les branches des arbres, les vieux objets sont mes complices privilégiés. Ils portent, déplacent, rapprochent, éloignent, produisent des sensations multiples qui m’irriguent.
Pourquoi je peins ?...
Je peins pour m’aider à voir ce que je ne vois pas, ou pour montrer ce que je vois et qu’on ne voit pas, ou pas encore, et plus simplement, je peins pour me donner à voir ce que je vois.
Voir devient un acte qui dépasse le sens de la vue. Je me laisse aller à voir avec tous mes sens et ce que l’on appelle ma « sensibilité », mot que, pour l’instant et dans ce contexte, je ne parviens pas à définir. J’invite ce que je perçois à venir prendre place sur la feuille de papier (ou sur la toile). Prendre place n’est pas donné d’avance. « Prendre place » est un processus gestuel et mental qui puise dans ma sensation tout en se confrontant à la réalité matérielle. Se construit une image qui provient de tout ce que je suis, de tout ce avec quoi j’entre (volontairement ou non) en rapport. On ne choisit pas ce que l’on perçoit.
Mars 2017
Histoires de Passantes
(texte de présentation d’une exposition à Metz où je qualifiais mes peintures de « passantes »)
Histoires interrompues, histoires fragmentées.
Palimpseste, réminiscence, emprunts, déplacements, glissements, réinterprétations, dépliements, recompositions, ombres, reflets, détours, apparence, transparences, filigranes.
Faire place au présent, dans le quotidien, au « posé là ». Poser là un autre regard. Faire place dans le regard à ce qui n’est pas sous les yeux, qui est ailleurs, qui provient d’ailleurs, en soi et hors de soi. Par le visible ou par d’autres voies, par exemple : par le sonore, le vibrant, le sensuel, l’âpre, le bouleversant, le disjoint, le fracturé, le soudain, le longuement émergent, l’éphémère, l’obsédant. En coïncidence. La « co-incidence » serait le rapprochement involontairement volontaire de plusieurs incidents.
L’incident comme ce qui advient soudain, s’insinue, se faufile. Peut-être pour une entrée furtive dans le champ de la perception, un passage bref mais qui ne serait pas obligatoirement anodin. Ce n’est pas parce que c’est provisoire, passager, passant inaperçu, que c’est sans incidence. L’incident est un entrée en scène, une présence manifeste dans l’espace et dans le temps.
Alors, offrir un espace intérieur. Faire place à l’incident, aux co-incidents.
Ménager cet espace, faire ce qu’il faut de place par le dérangement, désagréer, défaire, démonter, déséquilibrer. L’incident et ses co-incidents prennent la parole, parlent en hésitant ou bien en se coupant la parole, ou bien encore en se répondant, en s’étonnant. En s’étonnant de leur rencontre. C’est elle qui produit de l’étranger, de l’autre. À ce qui était d’abord.
Puis vient la question des limites, des limes, des frontières. Ces frontières qui mènent au risque de tous les ébranlements. Les incidents sont en équilibre instable, à des distances indéfinissables.
Sensibilité
Le mot sensibilité à partir de Littré.
Qualité de percevoir les impressions faites par les objets du dehors ou produites à l’intérieur.
Susceptibilité à l’impression des choses morales.
Sentiment d’humanité, de pitié, de tendresse.
En physique : grande justesse d’un instrument qui le rend capable d’indiquer les différences les plus légères.
En photo : réponse d'une émulsion à la lumière.
Je trouve la réponse à propos de la photo très intéressante.
Pour moi la sensibilité sera la réponse d’un être à l’environnement dans lequel il se trouve. Ma peinture relève de cette fonction. Elle donne un aperçu, partiel, éphémère, approchant, de ma réponse à mon environnement qui déclenche cette réaction.
Ma peinture n’est jamais un manifeste ni une déclaration ni une interprétation. Elle est plutôt une acceptation, une appropriation provisoire du moment ou de l’objet déclencheur. Celui-ci garde toute son intégrité, sa complexité, sa part d’inaccessible, peut-être même de mystère (je n’aime pas que l’on abuse de ce mot).
Quel que soit le format, la matière, l’aspect que prend l’image que je fabrique, elle garde sa part d’approximation, d’inachevé, d’ouverture, sa nature de proposition (voire d’invitation). Elle n’est pas appelée à s’imposer.
6 juillet 2015 - Refaire le monde avec la géopoétique : carte du monde avec l’archipel des Antelizes
5 septembre 2014
Je suis un peintre filigraniste à tendance palimpsestozoïde.
Beaucoup de mes peintures me sont d’abord inconnues. Bien sûr, c’est moi qui prépare la terre, c’est moi qui place la graine mais c’est la peinture qui se développe par elle-même. Je ne connais pas cette image à l’avance, je la découvre au fur et à mesure que je cultive ce lopin de papier. Souvent, comme tout être, l’image évolue, change d’aspect, se transforme pour aboutir à une proposition qui a sa logique que je ne connais pas nécessairement dans son entier. J’aime sa pudeur, sa part de mystère, son côté inaccessible, sa solitude peut-être. Je reconnais que, parfois, quelque chose en elle me dérange. Mais je me sens en complicité avec elle au-delà, et précisément, grâce à cette part d’inaccessible.
Citation : « Remonter la Marne » - J.P. Kauffmann – p .36
Je lui ai souvent demandé ce que cela signifiait. : « l’artiste n’a pas à donner les clés. D’ailleurs, il ne les a pas. On ne peut pas tout avoir : la faculté d’inventer jointe à celle d’interpréter. »