An -17 avant le confinement.
L'œil du peintre, au lieu d'aller à la conquête d'horizons lointains, explore la structure et le détail d'un lieu familier qui, du coup, révèle parfois au cours de cette observation d'une acuité inhabituelle, son indéfinissable étrangeté.
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Reprise d'un article publié en septembre 2003, soit en l'an -17 avant le confinement.
Intimité
N'avez-vous jamais ressenti cette sorte d'intimité que nous éprouvons quand nous nous installons devant une toile vierge, au calme dans un atelier ou une maison. Ce moment où la surface blanche, encore inoccupée, attend qu'on y pose nos affaires : des lignes, des formes, des couleurs… Et quand ces lignes, ces formes et ces couleurs nous servent justement à figurer un intérieur, comme l'ont fait avant nous tant de grands peintres, de Vermeer à Chardin, de Vuillard à Matisse, de Hopper à Hockney, cette sensation d'intimité se précise, on sent qu'on va vraiment habiter sa peinture.
Peindre des intérieurs a quelque chose d'apaisant, de confortable, mais aussi de subtilement mélancolique. L'œil du peintre, au lieu d'aller à la conquête d'horizons lointains, explore la structure et le détail d'un lieu familier qui, du coup, révèle parfois au cours de cette observation d'une acuité inhabituelle, son indéfinissable étrangeté. Le temps suspendu, ce trou d'air du temps suspendu, c'est ce qui apparaît surtout chez ces peintres cités plus haut : oui, ils peignent aussi des meubles, des tapisseries, des fenêtres, des personnages, des bibelots. Mais ces représentations concrètes, réalistes, ne seraient rien sans l'âme du peintre, sa sensibilité.
Entre la vie silencieuse des tableaux de Vermeer, les chuchotements de la touche picturale de Vuillard, la solitude pesante des compositions de Hopper, la grâce décorative de Matisse ou l'ironie lisse de Hockney, on comprend que peindre des intérieurs revient avant tout, pour un artiste, à révéler ce qu'il ressent… à l'intérieur de lui.
Ambiance
Quand vous choisissez de "faire le portrait" de telle ou telle pièce de votre maison, vous devez bien prendre conscience (comme pour tout sujet en peinture !) que l'important n'est pas de parvenir à un compte-rendu visuel d'une impossible objectivité, mais de réussir un tableau intéressant en tant que tableau : le rythme de la composition, le jeu des couleurs et des effets de touches, l'ambiance produite par toutes ces données purement picturales compte plus que le catalogage minutieux des éléments présents.
Inventaire
Toutefois, si vous avez justement un esprit "catalogueur" à la Prévert, vous pouvez prendre le contre-pied de ce qui est dit plus haut, et jouer l'accumulation de détails pour produire un effet poétique. Partant du principe que vous êtes peintre et non pas huissier établissant un inventaire, ce parti pris de dessin ne vous oblige pas à respecter les volumes et les proportions de chaque objet représenté. C'est la relation des objets entre eux, leur proximité dans la même toile, qui créera l'effet de familiarité, de ressemblance.
Points de vue
A l'instar des cubistes qui au début du siècle dernier, décomposaient et "dépliaient" les volumes et les surfaces des objets à la recherche d'une nouvelle façon de les figurer, vous pouvez mélanger, dans une composition, plusieurs points de vue : en dessinant le même lieu sur le même support selon des cadrages successifs et décalés. En combinant des vues de haut, sous la forme d'un plan, et des vues de face, selon ce mode de représentation que l'on retrouve souvent dans les arts dits "premiers".
Découpages temporels
De même que Claude Monet a peint la cathédrale de Rouen à différentes saisons, vous pouvez introduire la dimension de la durée dans votre peinture : en peignant la même pièce d'un point de vue identique, en automne, en hiver, au printemps, en été. Vous pouvez tenter aussi d'autres découpages temporels : matin, midi, soir, ou semaine, week-end…. Votre sens de l'observation ne doit pas se contenter de porter sur des questions de volume et de lumière, mais aussi sur cette relation du réel au temps.
Des fautes et des effets
Enregistrer la forme exacte des lieux et des choses, n'importe quel objectif photographique peut s'en charger, avec plus ou moins de bonheur. En revanche, il y a certaines formes de représentation qui ne peuvent pas se passer de la main de l'artiste. C'est quand vous utilisez certains partis pris graphiques qui s'appuient sur un geste particulier. Par exemple, vous dessinez d'un trait continu sans jamais lever votre crayon, sans jamais gommer, et vous accueillez toutes les fautes de mise en place ou de proportions comme des variations autour du motif initial. Vous transformez ainsi, à force de systématisation, des approximations en effet de style.
Accord, matière et forme de la couleur
A partir d'un même cadrage, d'un même dessin d'intérieur, inspirez-vous pour la mise en peinture de reproductions exprimant des ambiances radicalement différentes : atmosphère confinée d'un Vuillard, couleurs vives et gaies d'un Matisse, vives et froides d'un Hockney, etc. Cet exercice vous fera prendre conscience de l'impact des accords de couleurs, pas seulement les couleurs en elles-mêmes mais aussi la façon de les poser, de les délimiter : toutes données qui peuvent complètement transformer un motif au départ identique.
Le sujet, l'artiste et l'outil
Si un même dessin peut complètement changer de nature par la manipulation de la couleur, il en va de même pour ce qui concerne son graphisme. Essayez cet autre exercice de variations, par la ligne cette fois. En reprenant sur une étude tous vos traits avec un crayon dur et une règle ; sur une seconde étude identique, en traçant vos contours avec une brosse dure et de l'acrylique ; sur une troisième en essayant un fusain tendre. Votre sensibilité d'artiste n'est pas que dans votre œil et votre esprit, pas seulement dans le choix de votre sujet, mais aussi dans le choix de l'outil pour l'exprimer.
Regarder longtemps
« Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps. » (Gustave Flaubert). Avant de vous mettre à peindre, méditez cette phrase de l'auteur de Madame Bovary, l'un des écrivains les plus "peintres" qui soit. Faites cette expérience de passer toute une matinée sans rien faire dans un lieu familier. Pas tout à fait sans rien faire, mais en observant méticuleusement ce qui vous entoure, et auquel vous êtes tellement habitué que vous ne le voyez plus. Une matinée à contenir votre impatience de prendre crayon et pinceau, justement pour aiguiser vos sens, et être capable de dépasser l'écran de déjà vu qui s'interpose toujours sournoisement entre le peintre non averti (ou trop pressé !) et son sujet.
Le monde intérieur
« La forme des variations est la forme où la concentration est portée au maximum […] Le voyage des variations conduit au-dedans de cet autre infini, au-dedans de l’infinie diversité du monde intérieur qui se dissimule en toute chose. » (Milan Kundera, Le livre du rire et de l’oubli.) Là encore, c'est un écrivain qui rejoint ici les préoccupations du peintre : comme Morandi aussi avec ses natures mortes inlassablement recommencées, vous pouvez trouver, dans la reprise d'un même motif familier, de quoi approfondir votre pratique picturale. Au lieu de toujours chercher une nouveauté superficielle, cultivez le sens de la nuance sur un thème resserré. Osez peindre de nombreuses fois le même sujet pour voir jusqu'à quel point vous pouvez le rendre intéressant uniquement par la manière dont vous l'interprétez.
L'esprit de la maison
« Votre maison est votre corps élargi. » Khalil Gibran (1883-1931). L'artiste qui s'attache à représenter son intérieur réalise, d'une certaine manière, son autoportrait. Les objets dont vous vous êtes entourés, les couleurs choisies pour votre ameublement, l'ordre ou le désordre dans lequel vous aimez évoluer, tout cela constitue déjà un système de composition que vous pouvez transposer dans l'espace du tableau. Sans chercher à le reproduire tel que vos yeux le perçoivent, mais en organisant le dessin des objets, les dominantes colorées de votre environnement, la rigueur ou la fantaisie de l'ensemble dans le même esprit. Votre tableau, sans reproduire un détail particulier de votre intérieur, lui ressemblera cependant.
Étincelle
Le peintre Michel Potage décrit avec sensibilité ce qui nous lie à notre sujet, quand nous peignons le plus humble des objets ou des lieux quotidiens : «Les gens ignorent d’où vient la peinture et regardent souvent les tableaux comme des objets. Or la peinture vient souvent de sentiments universels, de la joie de vivre et de la peur de mourir, du rapport au père, à une maison, à un paysage ou à un simple objet comme un lit ou une table.» En effet, que serait une peinture qui se contenterait de nous montrer une perspective et des proportions justes sans le moindre sentiment, sans subjectivité, voire sans imperfection ? C'est justement dans cette différence entre le réel et sa représentation, différence plus ou moins voulue et contrôlée, qu'on peut espérer voir jaillir cette étincelle qui fait l'art.
Peindre une pièce de plus
Qu'est-ce qu'une mise en abyme ? C'est une représentation qui contient elle-même sa propre représentation, et ainsi de suite. Ainsi, sur une boîte de Vache Qui Rit, la vache porte des boucles d'oreille en forme de boîte de Vache Qui Rit avec ce même motif etc. Si vous avez le goût de ces vertiges graphiques, vous pouvez peindre pour mettre au-dessus de votre canapé une peinture qui représente ce même mur devant lequel se trouve le canapé, avec le tableau au-dessus, tableau dans lequel sont reproduits ce même canapé et ce même tableau, etc. Si vous vous trouviez à l'étroit chez vous, voilà une manière de vous créer de l'espace. Vous pouvez aussi, plus simplement, envisager de peindre un tableau représentant une ouverture vers une pièce de plus !
Peindre en liberté n°5 : la figuration créative
220 pages et autant d'idées pour changer sa façon d'aborder les grands thèmes de la peinture figurative : paysage, nu, portrait, nature morte…
Ce territoire méconnu
où le seul moyen de transport, c’est l’imagination :
Ile de Pré Britenne - Le catalogue