L’eau va, file, coule, jaillit, s’apaise, et l’image du monde qui s’y reflète est celle d’un nouveau monde, plus fluide, léger : vue dans l’eau, ne dirait-on pas que la réalité danse ?
Entre le monde réel, et son reflet dans l’eau, que se passe-t-il ? Qu’est-ce qui nous prouve que la forme nette et tangible d’une maison au bord de l’eau est son aspect normal, tandis que son reflet troublé n’en est qu’un avatar ? L’artiste est celui qui peut se poser ce genre de question, comme Tchouang-Tseu écrivant :
Un jour, j’ai rêvé que j’étais un papillon, et à présent je ne sais plus si je suis Tchouang-Tseu qui a rêvé qu’il était un papillon, ou bien si je suis un papillon qui rêve que je suis Tchouang-Tseu.
Peindre des reflets, c’est d’abord jouer avec les formes et les couleurs, la lumière et la transparence, mais en creusant plus loin, c’est aussi explorer les limites du visible, du connu, du stable. S’aventurer dans les mystères et les ambiguïtés de la vision et de la représentation.
Observez bien cette petite maison au bord de l’eau, découvrez son image inversée : ses lignes droites se laissent aller à onduler, l’image mouvante de sa façade est caressée par des herbes aquatiques qui, elles, ne sont pas des images mais des herbes réelles : la réalité et son reflet se mêlent inextricablement, fusionnent. Et invitent le peintre à ouvrir ses yeux et son esprit, à ne pas figer le monde physique dans des contours trop étroits. Bien souvent, le réel se joue de notre prétention au réalisme, réalisme qui ne reflète souvent que les limites de notre perception. Il est beau de penser que l’eau, entre plus d’être cet élément indispensable à la vie, ait aussi cette capacité de nous faire voir à travers elle une vision du monde inversée, changeante, comme pour nous rappeler que la vie, dans un tableau comme en vrai, peut être aussi une danse.
Texte extrait de "Peindre en liberté n°5, la figuration créative"
230 pages 21 X 29,7 cm - Recueil de textes d'Yves Desvaux Veeska, publiés dans Artistes magazine de 1997 à 2015.