220 pages et autant d'idées pour changer sa façon d'aborder les grands thèmes de la peinture figurative : paysage, nu, portrait, nature morte…
Quelques extraits :
Fou du paysage
Dessiner un paysage, est-ce une histoire de fou ? Nous nous installons avec notre chevalet, ou notre carnet de croquis, devant un espace qui se mesure en kilomètres, un espace rempli d’un nombre incalculable d’éléments naturels, avec leur forme changeante à chaque seconde, les ombres, les lumières ; un espace animé par le bruissement du vent, le chant des oiseaux, les vrombissements de l’activité humaine ; un monde d’odeurs aussi, et de sensations tactiles : l’air sur la peau, les craquements ou crissements du sol sous nos pas. Et tout cela, tout ce qui emplit notre être de sensations, il va falloir le faire tenir dans l’espace d’une simple feuille de papier ! Ce défi insensé, c’est ce qui fait la beauté de l’art : quelques formes et couleurs posées avec sensibilité qui, sans tout dire ni tout montrer, nous emmènent au-delà de la simple imitation des apparences, au cœur battant du réel.
Modèle vivant rencontre peintre vivant
Qu’y-a-t-il de commun entre une peinture de Raphaël, avec ses figures idéales, et les nus bien en chair de Rubens ? Entre les femmes graciles de Cranach, et les adolescents musclés du Caravage ? Entre les beautés froides d’Ingres et les corps puissamment incarnés peints par Courbet ? Comment rapprocher les nymphes hyperréalistes de Bouguereau, et les vahinés au dessin solide et sensuel de Gauguin. Et qu’est-ce qui relient les anthropométries de Klein aux figures tourmentées de Bacon ?
A chaque fois, l’artiste n’est pas seul maître à bord avec ses pinceaux et couleurs. En représentant une figure, il n’est pas seulement en face d’une forme à capter, mais devant un être de chair et de sang, avec sa présence physique, son esprit et ses pensées qui influent forcément sur les siennes. Et c’est cette capacité à donner à voir cette relation qui confère sa force à une bonne peinture d’après modèle.
Le portrait, épreuve de vérité
Qu’est-ce qu’un visage : de la peau sur des os, des organes sensoriels, les yeux, le nez, la bouche, les oreilles… tout un composé de matières organiques souples ou dures, sèches, gluantes ou visqueuses… Bref, objectivement, si on s’en tient à une observation anatomique, rien de séduisant. Et là, miracle, cet incroyable assemblage de substances vivantes et même mortes (le cheveu est constitué de cellules mortes, les fibres de kératine) sur lesquelles on trouve même des poils, tout cela finit par former une image à laquelle on peut sourire, plus qu’une image, une personne que l’on peut désirer embrasser… et dont on peut avoir envie de faire le portrait. Les traits du visage, son épiderme, tout cela ne mériterait pas d’être un sujet majeur de la peinture s’il ne s’agissait que de trait et de surface, s’il n’y avait l’âme, l’esprit, le sentiment… Le portrait : épreuve de vérité pour le peintre.
L’invisible, à l’intérieur du visible
Pourquoi un peintre va-t-il avoir envie de figurer une chaise, un coin de fenêtre, un rayon de soleil qui trace une ligne sur un tapis ? Ou une personne assise dans un fauteuil et plongée dans un livre ? Peindre une scène d’intérieur, c’est beaucoup plus que s’attacher à la représentation de tel ou tel objet ou figure. Dans ce genre de composition, le plus important est invisible. D’où la difficulté : comment donner à voir le silence, l’atmosphère, les pensées informulées qui traversent un esprit. Sans doute qu’une chambre, un salon, ou n’importe quel lieu clos où l’humain a laissé sa trace, est le reflet, ou l’écho de ce que chacun garde en soi sans l’exprimer explicitement. Et le peintre, un peu médium sur les bords, peut révéler par son art ce que les mots ne sauraient dire. On croit peindre un fauteuil, une table, un bouquet de fleurs. Et l’on peint la présence, ou la joie, ou la paix.
Peindre en liberté n°5 : 220 pages d'idées pour changer sa façon d'aborder les grands thèmes de la peinture figurative : paysage, nu, portrait, nature morte…
Recueil des articles écrits par Yves Desvaux Veeska dans "Artistes magazine", durant 20 ans et 120 numéros.