L’artiste doit être présent dans son œuvre, présent partout, visible nulle part.
Tout enfant est artiste. Le problème est de rester artiste en devenant adulte.
Les grands artistes de demain resteront cachés.
Il laissait des œuvres inachevées, comme son père l’avait abandonné. Il ignorait l’autorité et, en matière de connaissance, ne se fiait qu’à la nature et à son jugement propre, comme le font souvent ceux qui n’ont pas été élevé dans l’intimidation et la puissance protectrice du père.
Se contenter soi-même et contenter autrui en gagnant sa vie grâce à des institutions culturelles millénaires, avec autant de sécurité que si l’on avait déposé ses petites économies à la Caisse d’Epargne…
Cessez de vous identifier à ce qui vous limite. Vous qui êtes artistes, essayez d’éviter l’expression de vous-même. Ne faites pas confiance à vos propres paroles. Méfiez-vous de votre foi et ne croyez pas à vos sentiments. Dégagez-vous de votre apparence et redoutez toute extériorisation autant que l’oiseau redoute le serpent.
La vie de l’artiste n’est pas régie par un individu aux objectifs clairs comme la fortune, la réussite ou la vérité scientifique, voire l’incarnation d’une quelconque idée précise, mais par une force brutale, aux mains de laquelle l’artiste en tant qu’homme se convulse, comme s’il était victime du tétanos ou d’un empoisonnement à la strychnine.
Les artistes sont une espèce à part. Je te conseille de t’en méfier ! C’est une race robuste, qui se sert de ses faiblesses comme d’un déguisement. Un artiste survivra à un coup de massue qui assommerait un homme ordinaire. Non qu’il soit insensible à la douleur, mais elle ne lui fait pas mal, au contraire : il la transpose dans son œuvre et en tire profit !
— Voilà du meilleur Klee ! Une profondeur et une expression que je n’atteindrai jamais !
Peut-être la satisfaction naïve compense t-elle l’absence de don.
Cela m’étonne quand je vois des artistes réclamer quelque chose. Qu’est-ce qu’on peut réclamer ? Que nos livres soient dans la vitrine, que nos films soient à l’affiche ? Il faut seulement être « voulu ». Comme en amour.
Les carrières artistiques m’ont toujours paru très risquées, l’aspirant ayant toujours infiniment moins de chances de créer une œuvre durable que de devenir, disons, astronaute.
Ananda K. Coosmaraswami, conservateur du Département des Arts Indiens du musée de Boston, définit, dans un ensemble d’articles et de conférences datant de 1937 à 1941, sous le titre de la philosophie (…) et orientale de l’art, contre le modernisme, une conception métaphysique de l’art dans laquelle l’artiste n’est pas cet individu orgueilleux en quête d’assomption narcissique, mais l’artisan humble pour qui l’art n’a de sens que dans la mesure où il remplit une fonction, qu’elle soit d’ornementation ou d’une révélation d’une vérité supra humaine, les deux ne répugnant pas à s’allier.
La grâce est ce à quoi doit tendre l’individu. Dans la vie sociale, dissimulant l’effort de ses actes et de ses paroles, autant que dans les choses de l’art, qui ne sauraient souffrir d’apparaître comme préméditées, voulues, « tirées par les cheveux ».
Les artistes sont bien des créateurs mais pas des démiurges, le monde n’a pas commencé avec toi et ne s’achèvera pas non plus avec toi. Tu es à la fois un phénomène existant et un individu réel. Au moment où tu existes, tu es aussi d’une richesse infinie. Lorsque le moment sera venu pour toi de ne plus exister, tu disparaîtras. La seule voie d’existence de l’artiste, fragile individu, face aux courants irrésistibles de son époque, s’il ne veut pas être balayé, sera de se tenir sur le côté et d’observer sereinement dans la marge de la société. Ainsi seulement il pourra continuer à faire ce qu’il voudra et peindre ce qu’il aimera.
Les artistes passent leur temps à déjouer les modes de vie imposés par notre société. La plupart des plasticiens ont, par exemple, un rapport au quotidien qui reste différent. Ils investissent des lieux que personne ne veut habiter. Chez eux, c’est beau et en même temps il n’y a rien. Leur luxe est autre. J’envie plus un artiste face à ses difficultés qu’un être confronté à la tyrannie de la consommation. Ils m’ont beaucoup appris. Car bien vivre, ce n’est pas seulement bouffer et payer son loyer, c’est aussi résister à la tentation, préserver un espace de liberté, avoir une gestion discontinue du temps. Bref, c’est inventer sa vie.
Comme Pound et Eliot, il doit être prêt à supporter tout ce que la vie lui réserve, même si cela veut dire l’exil, le travail obscur et l’opprobre. Et s’il échoue dans l’épreuve suprême de l’art, s’il s’avère qu’après tout il n’a pas le don sacré, il faudra être prêt à endurer cela aussi : le verdict irréversible de l’histoire, le sort de n’être malgré toutes ses souffrances présentes et à venir, qu’un artiste mineur. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Pour tout poète majeur, une nuée de poètes mineurs, comme des moucherons qui bourdonnent autour d’un lion.
« Cher peintre, peins-moi ». Dans cette série de peintures des années 80, Martin Kippenberger s’est contenté de fournir des images modèles. Aucun de ces tableaux n’est de la main de l’artiste, mais d’un simple peintre affichiste.
Il y a ceux qui veulent habiter le monde de l’art, et il y a ceux que l’art habite.
Tout au fond, par son être même, le vrai créateur se sait plus ou moins dérangeant et, passées les années de jeunesse, il n’a aucun besoin d’en rajouter dans la provocation. À la limite il ferait tout, au contraire, pour se montrer le plus normal possible et passer inaperçu.
A quoi reconnaît-on un artiste ?
Les artistes se reconnaissent entre eux.
Extraits de "Citations etc"
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