Celui qui a appris à apprécier les dons de la vie n’éprouve plus le besoin de manipuler l’existence d’autrui. C’est plutôt de la curiosité et de l’intérêt, un esprit de collaboration et de solidarité, une générosité désintéressée qui le portent vers les autres.
La vie, appelons ainsi approximativement cette force dérangeante qui se charge à brève ou longue échéance de délabrer tout système, n'a cure des bonnes intentions. Non que ces intentions précitées n'aient pas été sincères, mais la vie ne les respecte pas. Dans toute croyance, dans tout principe, dans toute idéologie, elle flaire le « système », la réponse toute faite. La vie ne tolère à la longue que l'impromptu, la réactualisation permanente, le renouvellement quotidien des alliances. Elle élimine tout ce qui tend à mettre en conserve, à sauvegarder, à maintenir intact, à visser au mur.
Bien que les pieds de l’homme n’occupent qu’un petit coin de la terre, c’est par tout l’espace qu’il n’occupe pas que l’homme peut marcher sur la terre immense.
Tu seras moins dépendant de demain si tu t’empares d’aujourd’hui. On remet la vie à plus tard. Pendant ce temps, elle passe.
L’espace d’une vie est le même, qu’on le passe en chantant ou en pleurant.
La vie est un combat où la tristesse entraîne la défaite.
Si la vie n'est qu'un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs.
J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ;
Il n’est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique.
Il faut mettre dans les vertus une certaine noblesse, dans les mœurs une certaine franchise, dans les manières, une certaine politesse.
Chaque jour il faut danser, fût-ce seulement par la pensée.
Je ne trouve pas d’autre grâce que celle d’être né. Un esprit impartial la trouve complète.
Pour moi, la vie normale c’est la vie joyeuse. L’individu déraisonnable que je suis ne veut pas tenir compte de toutes les données du grand problème. Je n’étais pas fait pour vivre dans un monde où l’on doit consacrer sa jeunesse à la préparation de sa vieillesse. J’éprouve fréquemment le besoin de dire mon sentiment aux sinistres farceurs qui trompent les peuples, mais je comprends très vite que ma véhémence serait inutile et je me mets à rire.
S’il y a une rupture dans l’histoire morale de l’humanité, c’est le jour où l’on a cessé de considérer la vie comme un danse pour n’y plus voir qu’une course.
Des dizaines, des centaines de fois encore tu me captureras, tu me jetteras un sort et tu me retiendras prisonnier, monde de paroles et d’opinions, monde des hommes, monde de désirs intenses et d’angoisses fiévreuses. Mille fois encore, tu éveilleras en moi ravissement et peur avec tes lieder accompagnés au piano, avec tes journaux, tes télégrammes, tes faire-part de décès, tes déclarations de domicile et tout ton fatras infernal, toi monde de désirs et d’anxiété, opéra gracieux plein d’absurdités mélodieuses. Mais Dieu veuille que jamais plus ne disparaissent de mon esprit le sentiment de recueillement que m’inspire la précarité de toute chose, la passion des métamorphoses, l’acceptation de la mort, la volonté de renaître. Pâques reviendra toujours, éternellement le désir se muera en angoisse et l’angoisse en délivrance ; la mélodie de l’éphémère m’accompagnera joyeusement sur mon chemin, pleine d’acquiescement, pleine de consentement, pleine d’espoir.
On vit, on rapièce, on rafistole, on construit et, quelquefois, on gâche son existence ; puis, avec le temps, on s'aperçoit que cette vie, telle qu'elle s'est constituée de hasard et d'erreurs, est parfaitement inaltérable.
Rien n’est vrai que ce qu’on ne dit pas… Tu l’apprendras toi aussi, trop tard. La vie, c’est un livre qu’on aime, c’est un enfant qui joue à vos pieds, un outil qu’on tient bien dans sa main, un banc pour se reposer le soir devant sa maison. Tu vas me mépriser encore, mais de découvrir cela, tu verras, c’est la consolation dérisoire de vieillir. La vie, ce n’est peut-être tout de même que le bonheur.
Je n’aime que le sérieux. Travailler plus qu’il n’est indispensable, et s’en faire un devoir pour passer le temps, ce n’est pas sérieux ; produire et peupler la terre sans discernement, s’inventer toujours des outils quand on en possède assez, courir après des richesses, des plaisirs, des honneurs qui n’en sont pas, s’exténuer pour briller devant des gens que l’on horripile, ce n’est pas sérieux.
Les gens veulent comprendre la mort. Ce n’est pas possible. Le bois devient cendres, les cendres ne peuvent redevenir bois, et le bois ne peut voir ses propres cendres. L’existence est courte, limitée. À quoi pouvons-nous comparer notre vie ? Au reflet de la lune dans la goutte de rosée qui tombe du bec de l’oiseau.
L’effroyable banalité au bout du compte de nos existences que nous voulons si singulières.
La vie peut être comparée à une partie d’échecs : les premiers coups sont très importants, mais tant que la partie n’est pas terminée, il reste de jolis coups à jouer.
Trois sentiers sont mauvais pour l'homme : voir la beauté du monde et dire qu'il est laid ; se lever de grand matin pour faire ce dont on est incapable ; et donner libre cours à ses songes, sans se surveiller, car qui songe devient victime de son propre songe.
Enfermée dans une bouteille, la mouche se cogne au verre sans comprendre qu’il suffirait de voler plus haut.
Beaucoup de gens se sentent mal dans leur peau parce que ce n’est pas la leur.
…Pourquoi évoquer ces bonheurs, ces fiascos et cette existence nomade, incomplète et dilapidée, qui a fini par faire une vie ?
Tu ne vas quand même pas passer ta vie dans l’adoration d’un brin d’herbe, me disait celui qui passait sa vie dans l’adoration d’un monde où rien ne poussait, pas même un brin d’herbe.
Une vie, cela se fabrique, se disait-elle, comme n’importe quoi d’autre, il faut la pétrir, la ciseler, la polir, afin d’en tirer le meilleur.
Le vrai tracas venait de ce que je ne savais pas ce que je cherchais. Trop de réflexion, de logique, de sens ! La vie elle-même n’obéit à aucune logique, pourquoi veut-on en déduire sa signification avec logique ?
…
Ne pas avoir de but, c’est aussi un but, et le fait de chercher, c’est aussi un objectif, quel que soit l’objet de la recherche. Et la vie elle-même n’a, à l’origine, aucun but, il suffit d’avancer, c’est tout.
Tu ne peux pas empêcher les mauvaises choses d’arriver. Mais c’est ce que tu fais quand elles arrivent qui compte.
Des couples se sont formés, des mariages qui durent, parce qu’un homme, un jour a dit à une inconnue : « Alors, z’êtes en vacances ? » ou : « Sont à vous ces jolis yeux-là ? ». Et des naissances ont suivi, des anniversaires, une famille, une dynastie (les Ming ?).
Particulièrement pénible devait être l’idée que la volonté n’est pas le facteur décisif dans la vie de chacun, que l’accident dû à la malchance ou au hasard risquait de se révéler décisif.
Rire, que serait-ce pour une pensée ? Jouer, défaire les repères habituels, perdre à mesure ceux qu'elle tente de se constituer, découvrir que la vérité manque, décider que ce n'est pas terrifiant, continuer ainsi, s'amuser à inventer, persister à se désabuser, s'égayer de l'insondable profondeur de la bêtise, cesser de mépriser, courir courir courir, se laisser surprendre par ce qui advient, endurer sans grogner de ne rien connaître, ouvrir des parenthèses dans le temps, considérer les savoirs comme des curiosités exotiques, s'appliquer avec un infini sérieux à de petits riens, faire la guerre à l'ennui, la peur, l'hésitation, laisser de côté la mort et savoir qu'elle est là. Bref, des choses assez difficiles.
À la longue, il ne vaut jamais la peine d’avoir été cynique, revanchard, gagnant, compétitif, « the best ! ». La seule chose à la longue qui vaille le jeu et la chandelle est d’avoir aimé.
À mon sens, notre existence n’est pas destinée à de grands desseins cosmiques. Ce que nous pouvons espérer de mieux, c’est de jouir de ce qui nous est donné, c’est-à-dire une présence physique au monde.
Ce qui compte n’est pas ce qu’on fait dans la vie, mais de la vie.
La vie ne m’apparaît plus comme une course angoissée vers la mort, mais plutôt comme une voluptueuse perte de temps. Un flot de stupidité heureuse s’écoule dans mon sang par réaction au malheur ; une délectation de chaque instant pour sa beauté, sa laideur, son absence de beauté ou de laideur ; une volonté d’aimer le monde tel qu’il est ; une sensation de glisser entre le temps et les choses.
La vie est comique pour qui pense et tragique pour qui éprouve.
Sous ses dehors les plus prosaïques, l’existence de chaque individu est riche de contradictions et de nuances. Elle est un roman potentiel, parce que malgré notre aspiration à la simplicité et à la tranquillité nous ne pouvons empêcher les catastrophes ou les accidents de parcours de modifier la trajectoire de nos vies.
…
Chaque fois que l’on est assailli par la conscience de ce que la vie a d’éphémère, il n’y a rien de mieux que de passer à table.
Vivre, se nourrir, se reproduire, accomplir la tâche pour laquelle on est né, et mourir : ça n’a aucun sens, c’est vrai, mais c’est comme ça que les choses sont.
Tous les sens de la vie, toutes les directions données à la vie, des plus dures : faire du fric, devenir puissant, célèbre... aux plus sensibles : servir une cause, m'engager, militer... prennent à la longue, si elles tiennent trop longtemps toute la place dans la vie, quelque chose de dur, de méchant, j'allais dire de « désespérément méchant » par la crispation qu'engendre l'effort de se maintenir sur un rail, de tenir bon à tout prix.
Nous sommes tous ici pour une visite. Nous ne sommes que de passage. Nous sommes venus observer, apprendre, grandir, aimer, puis retourner d’où nous venons.
Extrait de "Citations etc"
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