La couleur est par excellence la partie de l’art qui détient le don magique. Alors que le sujet, la forme, la ligne, s’adressent d’abord à la pensée, la couleur n’a aucun sens pour l’intelligence, mais elle a tous les pouvoirs sur la sensibilité.
Qui a dit cela ? Un peintre abstrait du XXe siècle ? Non, Eugène Delacroix.
Une peinture peut être figurative ou abstraite. Il peut s’agir d’une modeste nature morte, ou d’une composition spectaculaire avec de multiples personnages ; on peut avoir affaire à une abstraction géométrique et rigoureuse, ou sauvagement lyrique. Au-delà de ces différences, il y aura toujours cette sensation quasi animale de la couleur qui donne littéralement vie à ce qu’elle touche.
Devant la toile blanche, face à un sujet qu’on a prévu de traiter, la simple vue de nos tubes de couleurs nous fait saliver : le sujet c’est le menu. Mais la couleur, c’est la nourriture !
La couleur. Pour moi
« Le noir, pour moi, est une couleur intense, plus intense que le jaune. » Cette déclaration de Soulages nous rappelle que la perception de la couleur n’est pas universelle, qu’elle varie selon les individus et aussi les époques. « Les nations sauvages, les personnes incultes et les enfants ont une grande prédilection pour les couleurs vives ; les personnes cultivées évitent les couleurs vives aussi bien sur leur vêtement qu’autour d’elles, et s’efforcent en général de s’en épargner la vue » Cette autre citation, de Goethe au début du 19e siècle dans son Traité des couleurs, nous invite aussi à réfléchir à notre sensibilité à la couleur, entre la part personnelle et la part culturelle.
Réinventer
La couleur vive peut exprimer l’allégresse et la vitalité selon les uns, la vulgarité tapageuse selon les autres. Il faut compter avec la subjectivité de chacun, « Il y a des tons nobles, d’autres communs, des harmonies tranquilles, consolantes, d’autres qui vous excitent par leur hardiesse, » écrit Gauguin dans une lettre à Emile Schuffenecker en 1885. Mais entre la fin du 19e siècle et aujourd’hui, la notion de hardiesse dans la couleur s’est relativisée. Les audaces d’hier paraissent bien tempérées aujourd’hui : les couleurs d’un Gauguin ont été dépassées en intensité par celles des Fauves ; le pop art ou l’abstraction lyrique ont surenchéri à leur manière. Aujourd’hui, alors que les nuances infinies des pigments de synthèse sont abordables depuis longtemps par tout un chacun, alors que les médias et les voyages nous rendent familières aussi bien la frénésie colorée de Las Vegas que celle d’un marché africain, nous devons sans cesse réinventer la puissance de la couleur, puisqu’elle existe déjà en abondance.
Saisissement
Chacun a une palette de prédilection, une atmosphère colorée dans laquelle il se sent bien, son « chez soi » de la couleur. Et de même que parfois, aussi bien que l’on se sente chez soi, on a besoin de vacances, c’est une belle expérience à tenter pour un peintre que de mettre de côté toutes ses couleurs habituelles, familières, pour partir en exploration avec des couleurs plus ou moins délaissées. « La couleur surtout et peut-être plus encore que le dessin est une libération » disait Matisse. Le jour où on oublie que l’herbe est verte et le ciel bleu, on s’aperçoit que chaque brin d’herbe et chaque heure qui passe change leur couleur, et qu’avec une simple palette renouvelée à côté de son chevalet, on peut refaire le monde, son monde, et insuffler une énergie neuve dans chaque coup de pinceau sur chaque tableau. Dans un beau poème (« Le Testament ») Vieira da Silva écrivait « Je lègue à mes amis un bleu cæruleum pour voler haut… Un vermillon pour faire circuler le sang allègrement… Un violet de cobalt pour la rêverie… Un vert Véronèse pour la mémoire du printemps… » Aujourd’hui, au cœur de l'hiver, plus que jamais la couleur nous invite à la saisir, et à nous faire saisir par elle.
Texte extrait de Peindre en liberté n°5, La figuration créative
Le paysage, le nu, le portrait, la nature morte
Idées et techniques pour peindre le réel
tel qu’on le voit, tel qu’on croit le voir,
tel qu’on le pense, tel qu’il surgit
de la peinture elle-même.
Un livre de chevet, ou plutôt un livre de chevalet, à garder près de soi quand on peint.
Des couleurs pour l'hiver - Fondation Veeska
Hier j'ai peint des ronds, Aujourd'hui des carrés, Des lignes droites Des rouges et des noirs Je n'arrondis plus les angles. Mais j'empile quelques couleurs Pour ...
https://www.veeska.com/2021/02/des-couleurs-pour-l-hiver.html